
Vu en IMAX Laser, dans la salle Lockheed Martin de Washington D.C., Dunkerque restera dans ma mémoire comme un enchantement technique, une de mes plus belles projections. Mais le film de Nolan va bien plus loin que cette extase sensorielle.
Scénario et réalisation. Trois histoires entremêlées, sur terre, sur mer et dans les airs, avec trois échelles de temps différentes, allant d'une heure à une semaine (avec de très habiles passages jour/nuit). Un précepte risqué parfaitement exécuté : aucune incohérence n'émerge, la narration reste parfaitement lisible malgré ces histoires qui s’entrecoupent (non, il n'y a pas de flashforward ou back comme j'ai pu le lire, le récit est linéaire). Du montage totalement lisible à la photo, tout sert la mise en scène et les mouvements parfois vertigineux de la caméra. Spielberg l'a conseillé pour la réalisation de certaines séquences navales (ce qui peut expliquer la légèreté de la caméra, comme lors de la séquence d'ouverture de Star Wars III ?).
Contextualisation et réalisme. Dunkerque, la ville, a été maquillée pour cacher les bâtiments les plus modernes. Mais pas tous, volontairement. Nolan, s'y est refusé : il veut un film le plus intemporel et contemporain possible, "jusqu'au point de distraction". Lui qui utilise d'ailleurs comme d'habitude le minimum nécessaire de CGIs (ce n'est pas pour rien qu'il a utilisé 62 bateaux simultanément !). Il veut que Dunkerque ressemble "au monde d'aujourd'hui" et ne soit pas une reconstitution historique (d'ailleurs les noms des protagonistes réels furent changés). Le résultat est comparable au Shanghai de l'Empire du Soleil.
Pareil pour les nez des Messerschmitt, qui ne furent jaune que 2 mois plus tard en 1940 : Nolan a voulu cet anachronisme, parce que "ça a de la gueule". Un film qui conte l'histoire sans jamais la contextualiser, sans carte, sans présentation. Un film de guerre brutal et radical, sans la moindre goutte de sang. Un film sur une confrontation totale, sans jamais voir le visage d'un ennemi. C'est l'ensemble de ces paradoxes et leur alchimie qui font de ce Dunkerque un objet unique.
Musique et son. Zimmer n'expérimente et ne s'amuse jamais autant qu'avec Nolan. Il utilise encore le tic-tac (d'une montre de Nolan), et surtout la gamme de Shepard (illustrée en vidéo ci-dessous), à l'obstination. Son thème principal ? Une note. Un do, répété 3 fois, à l'octave. Une sirène qui ne m'est sortie de la tête qu'au bout de quelques jours. Et au moment libérateur du film, une variation Enigma d'Elgar revisitée, un symbole très bien exploité. L'expérience est fascinante avec cette BO qui fait corps avec les effets sonores ; elle a une place encore plus importante que dans Interstellar, c'est elle qui modèle l'ambiance et renforce les sensations charnelles du film.
Nolan dit souvent que la partie mixage est sa phase préférée. Et c'est bien un des accomplissements majeurs de Dunkerque, loin de n'être qu'un artifice ou qu'un accessoire : ce travail sur la musique et le son devrait être toujours aussi pointilleux, c'est sensé être la quintessence du cinéma cette symbiose entre l'image et le son.
Réalisateur et acteurs anglais, compositeur allemand, tournage en France, et pourtant Dunkerque est un blockbuster parfaitement hollywoodien. Nolan est un des rares artisans de l'industrie à avoir carte blanche des studios. Pour convaincre Warner, il a cité Mad Max (Fury Road) et Gravity. Il a fait regarder à son équipe La Ligne Rouge de Malick avant le début du tournage.
Dunkerque est un parfait mix de ces 3 œuvres. C'est un film catastrophe, apocalyptique et sensoriel, loin des codes du film de guerre, qu'il redéfinit. C'est là tout son génie, et raison pour laquelle Nolan est, avec Vaughn et Cuaron, un de mes réalisateurs préférés de sa génération. Dunkerque est son dernier coup de maître.